Un grand chef en cinq mots-clé

Claus-Peter Flor, lauréat en 1982 du concours de direction du Festival de Lucerne, y a remporté un prix précieux entre tous: quatre semaines à Londres auprès de Rafaël Kubelík, répétant avec l'Orchestre Symphonique de Londres des programmes Brahms et Mozart. Il a accepté de nous livrer quelques enseignements d'une rencontre qu compta beaucoup dans sa propre évolution artistique.

Influences

Il ne faisait pas part d'influences musicales autres que son cocon familial, son père Jan, évidemment. Kubelík n'avait pas besoin de « références », puisqu'il se fiait à la musique pure, au texte musical et à sa connaissance de la vie des compositeurs s'emplissant comme une corne d'abondance qui se déversait par la suite.

Carrière

Ses ressentiments ne furent jamais clairement exprimés, mais assurément profonds. Ainsi certain festival allemand se consacrant à Wagner et qui ne l'avait pas sollicité s'attirait des remarques acerbes : « que faire de bien dans cette Province ? ». La déception avait laissé la place au rejet et à l'amertume.

Orchestre

Il faut considérer que Kubelík a été un pont entre deux époques : il a vu la transformation de la nature des orchestres, ces ensembles avides de connaissance qui sont devenus des regroupements de solistes omniscients, On a connu des chefs plus aptes à aider et soutenir un orchestre, mais Kubelík était de la race des « éducateurs d'orchestre », en quête d'absolu, se détournant de toute idée de compromis, allant parfois jusqu'à l'entêtement.

Au contraire d'autres, Kubelík ne recherchait pas le pouvoir sur autrui, il ne se délectait pas à jouer avec les musiciens, trop occupé à asseoir un pouvoir sur lui-même. Par contre, lorsqu'il sentait un répondant, il s'ouvrait et était, à l'égard d'autrui, d'une fidélité à toute épreuve. En fait, il s'agissait d'une personnalité assez renfermée : il fallait s'ouvrir à son univers, sauter sur son nuage ; alors il vous emportait avec lui, inextinguible source de savoir et d'inspiration. Il avait un abord slave et passionné de la précision qui requérait beaucoup d'attention de la part des exécutants. Les concerts partaient du dernier point d'aboutissement des répétitions, auquel il rajoutait ponctuellement des inventions de l'instant.

Credo artistique

Kubelík était guidé par une fidélité absolue au compositeur. Il a ainsi, paraît-il, viré manu militari les représentants de Supraphon venus lui présenter la nouvelle édition, simplifiée (pour faciliter le travail des exécutants), des partitions de Janáček !

Là où Celibidache, par exemple, essaie avant tout d'établir un espace métaphysique entre les êtres, une communauté au service d'une idée, Kubelík se réfugiait dans le texte musical. C'était aussi un harmoniste de première grandeur. On a peu ou pas entendu Karajan ou Celibidache s'exprimer sur l'harmonie, ses rapports, sa théorie. L'intérêt de Kubelík pour cette question rend ses compositions particulièrement intéressantes, en droite ligne des Écoles de Vienne. Si vous me permettez ce raccourci il est aussi, dans un certain esprit, le dernier compositeur tchèque après... Mahler.

Enseignement

L'enseignement de Kubelík ne se faisait pas pendant les répétitions: « Flor, ne restez pas à la répétition ; allez au musée, je vous y rejoindrai ». On regardait longuement les peintures ou les objets (dix tableaux au maximum) et on parlait de l'Art et de ]'Homme : c'était cela l'enseignement de Kubelík. Il était cependant toujours là pour répondre à des problèmes spécifiques. Lorsque j'ai dirigé mon premier Taras Bulba de Janáček, je suis allé le voir en Suisse, où il vivait, car la partition laisse bien des questions en suspend. Il m'a demandé : « vous avez bien étudié la partition, quels sont vos problèmes ? » Je lui ai posé mes questions pour chacune il avait une solution extrêmement claire et tranchée il donnait des clés sur le mode «faites comme cela... ». A vous d'accepter ou non, mais la réponse était d'une clarté absolue et sans appel. En répétition c'était pareil, mais dans cette quête il avait un côté très tranchant, parfois même diabolique. Lorsque j'ai créé l'une de ses œuvres à Lucerne, il était derrière moi pendant toutes les répétitions. Quel cauchemar ! Il était dur et s'emportait: « vous n'avez rien appris ; faites donc ce qui est écrit ! ». Puis après le concert il fut reconnaissant, profondément, avec une candeur naïve et enfantine. Il ne lui serait pas venu à l'idée d'évoquer ce qui lui avait déplu... C'est ce que je retiens de lui en me souvenant de Messes de Haydn avec l'Orchestre de la Radio bavaroise: entendre ce « Diavolo », qui agitait ciel et terre, soudain ému, comme irradié par une sereine et candide gratitude envers la musique.

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