Article de K. H. Ruppel dans le Süddeutsche Zeitung du 20 novembre 1971 :
Déceler les moindres secrets

[...] Pleinement conscient qu'il s'attelait à l'un des opéras les plus extraordinaires qui soit, Kubelík décida d'en déceler les moindres secrets: l'intensité que dissimule le retenue de l'expression, l'émotion et la passion déchargées pas quelques éruptions d'une force inertie, la richesse incroyable des subtilités du timbre, l'éloquence (non rhétorique) de la déclamation instrumentale, la diversité et la finesse de la structure rythmique, la merveilleuse cohérence formelle qui, faisant fi de la tradition - pas d'airs, pas d'ensembles, une douzaine de mesures à peine pour le duo de l'aveu amoureux enflammé pour lequel le Tristan de Wagner a besoin d'un demi-acte -, acquiert une dimension nouvelle grâce au traitement purement récitatif du texte. Kubelík ne sait que trop combien cette musique réclame l'exubérance tout en interdisant le pathos; les couleurs doivent briller sans s'abandonner à la profusion des coloris; les harmonies doivent accentuer les contours sans créer d'ambiance; l'ensemble de sonorités doit révéler une grande transparence et non quelque "mystérieux" désordre.
Par le jeu remarquable de l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise (et tous ses grands interprètes), Kubelík a prouvé que les propos, fort contestables d'ailleurs, sur le soi-disant "impressionnisme" de Debussy ne sont nulle part aussi peu fondés que dans le cas de Pelléas. Bien au contraire, le génie du compositeur fut de s'inspirer au départ de la littérature symboliste pour amener la musique, au-delà des limites du romantisme tardif, dans des contrées nouvelles qui - excepté le domaine allemand occupé par Strauss, Mahler et Schoenberg - furent déterminantes pour l'évolution de la génération suivante des grands compositeurs européens: Ravel en France, de Falla en Espagne, Bartok en Hongrie, Scriabine et Stravinsky en Russie et tant d'autres qui (au mieux) ne réussirent qu'avec le plus grand mal à se libérer du "Debussysme".
Les chanteurs rassemblés par Kubelík pour cette représentation en français étaient extraordinaires. Aucune psychologie dans le drame symboliste de Maeterlinck, sombre poème du "destin, du rêve de la mort", ne pouvant "expliquer" la tragédie dans le château du roi d'Allemonde, l'interprétation doit être confiée à des personnages à des personnalités artistiques hors pair qui ne doivent créer les personnages à partir de rien d'autre que du simple "fait qu'ils existent" - il ne s'agit pas de les rendre compréhensibles, mais de leur conférer présence et vitalité. Les interprètes y parvinrent à merveille, le caractère vocal transperçait de façon idéale. Boulez parlait de Pelléas comme d'un drame musical de la peur et de la cruauté. Qui, sinon Helen Donath, aurait pu rendre à la fois aussi insaisissables et manifestes la peur contenue dans l'âme diaphane de Mélisande, l'extase de la dernière rencontre avec Pelléas ? Qui d'autre que Dietrich Fischer-Dieskau aurait pu exprimer la cruauté auto-destructrice, la véhémence, la jalousie exaltée de Golaud avec tant de vigueur et d'emportement ? Et qui aurait pu déployer plus de passion et d'extase que Nicolai Gedda dans le rôle du Pelléas en proie à un amour naissant - rôle d'autant plus difficile que la diction musicale chez Debussy est extrêmement condensée, contrairement aux airs ou aux mélodies interminables dans lesquels déversent leurs émotions les héros des opéras de Verdi ou de Wagner.
La qualité des protagonistes dans les rôles secondaires n'en fut pas moins remarquable : le superbe basse Peter Meven interpréta le vieux roi Arkel, l'alto Marga Schiml, qui accéda en peu de temps au premier rang dans son registre, était Geneviève, la mère de Golaud et Pelléas, et Raimund Grumbach (injustement oublié lors de la remise des fleurs à la fin) joua le docteur. Parmi tous ces prestigieux interprètes, une scène difficile revint au jeune choriste de onze ans, Walter Gampert, membre des "Tôlzer Sângerknaben"; avec le rôle de Yniold, le petit enfant de Golaud, il eut cependant d'autant moins de mal à se faire son propre nom qu'il interpréta sa partie de façon exemplaire, sur le plan tant musicale qu'artistique. (Il paraît que Rafael Kubelík aurait donné une somme coquette à ce jeune talent pour qu'il puisse poursuivre sa formation - un geste généreux et bienfaiteur.) Grâce à l'enregistrement de Josef Schmidhuber, le chœur des marins retentit au loin de façon irréprochable. [...]1 Cette soirée compte parmi les plus belles de l'histoire des concerts symphoniques de la Radio bavaroise; espérons que Munich permettra bientôt à ce concert mémorable et à cet opéra unique de faire leur entrée sur scène.


The following review written by K. H. Ruppel appeared in the Süddeutsche Zeitung on 20 November 1971:

Exploring the Secrets

[...] Rafael Kubelík, clearly awed by the opportunity to perform one of the most remarkable of all operas, explored every secret contained in the score: the intensity concealed in its restrained expression, the contained rapture that is released in a few eruptions of The following unequalled power, the incredibly rich subtleties of timbre, the (utterly non-rhetorical) eloquence of the instrumental declamation, the diversity and fineness of the rhythmic structure, and the marvelous coherence of form. In complete freedom and independent of tradition - no arias, no ensembles, a duet of hardly half a dozen bars for a passionate confession of love that took Wagner half an act in Tristan - Debussy created music with its recitative-like treatment of the text that sets its own new standard. Kubelík is fully aware that this work demands exuberance but forbids pathos, that its colors must glow without dissipating in colorist effusion, that its harmony must provide contours instead of merely creating atmosphere, that the sound must be highly transparent instead of "mysteriously" opaque.
Kubelík has proven, with the Bavarian Radio Symphony Orchestra playing stupendously (with all concert masters), that the imprecise and questionable notion of Debussy's 'impressionism' is nowhere less applicable than to Pelléas. Rather, starting from the roots of literary symbolism, his genius has enabled music to reach beyond the limits of late romanticism into new regions, which, apart from the German terrain held by Strauss, Mahler and Schoenberg, was decisive for the development of the following generation of major European composers - for the Frenchman Ravel, the Spaniard de Falla, the Hungarian Bartok, the Russians Skriabin and Stravinsky, all of whom could only free themselves of 'Debussyism 'with the greatest effort (if at all).
The singers that Kubelík gathered for this performance were extraordinary. Because ,psychology cannot explain the tragedy in Maeterlinck's symbolical drama, a cryptic poem of fate, dreams and death, great artistic personalities are necessary to create the figures out of nothing but their particular way of being' - not to make them understandable, but to endow them artistically with a vital presence. The singers were completely successful, even ideally so in terms of vocal character. Boulez once spoke of Pelléas a musical drama of fear and cruelty - who but Helen Donath could portray the angst in the diaphanous soul of Mélisande, who else could make the ecstasy of her last meeting with Pelléas so ethereal and yet so immediately evident? Who could express the self-destructive cruelty, the frantic jealousy, the imperious outbursts of Golaud with the same primal force as Dietrich Fischer-Dieskau? And who could develop such passion and ecstasy from the suppressed delight of a rowing love but Nicolai Gedda as Pelléas -part made much more difficult by Debussy's compact musical diction than that of any of Verdi or Wagners heroes, who vent their .notions in arias of seemingly unending melodies.
The minor roles were as good as the protagonists: the magnificent bass Peter Meven as Hing Arkel, the alto Marga Schiml, who in the shortest time has advanced to the forefront of her field, as Golauds mother Geneviève and Raimund Grumbach as the doctor. Admist these stellar performances, in one of the most difficult scenes, young Walter Gampert, an eleven-year-old rnember of the Tölz Boys' Choir, has made a name for himself -rightly so, for his singing was exemplary, both musically and artistically. (Rafael Kubelík, so one hears, has provided a five-digit sum for the gifted boy for his further education - a befitting act of patronage). The short appearance of the choir of sailors in the distance, rehearsed by Josef Schmidhuber, was impeccable [...].
It was one of the greatest evenings in the history of the symphonic concerts of Bavarian Radio; a memorable concert experience of a unique opera, which will now, we hope, pave the way for a stage performance in Munich.

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