Rafael Kubelík - Une vie
consacrée à Gustav Mahler |
Certes, dans la vie de Rafael Kubelík, l'enseignement de Gustav Mahler -
enseignement prophétique et enseignement de souffrance - n'a pas été seul à
jouer un rôle. Cependant, si l'on suit les multiples lignes de force qui
soutendent l'évolution de ce chef d'orchestre de premier rang, si l'on cherche
les conditions artistiques et spirituelles qui ont permis à ce musicien de
Prague d'offrir au monde des disques contenant toute la gigantesque œuvre
symphonique de Mahler, on aura vite fait d'arriver aux sources où Kubelík a
puisé la force de servir la musique de Mahler sous une forme qui apporte la
preuve d'une vocation. Dès le début, la vie de chef d'orchestre de Rafael
Kubelík s'est vouée à Mahler. Kubelík a rencontré l'œuvre de Mahler et ne
l'a quitté que pour la retrouver encore, et cela sans cesse. Dans ces
rencontres, il a puisé toujours de nouveaux élans qui l'ont fait progresser en
tant que musicien et même en tant que compositeur. Ainsi, Rafael Kubelík est
devenu un spécialiste de Mahler, son activité musicale s'est trouvée
consacrée à Mahler. Bien entendu, Mahler n'est pas son seul domaine, mais les
autres, même s'ils ne sont pas apparentés à celui-ci, s'accordent toutefois
avec lui. Son art a mûri sous l'influence de Mahler; Kubelík se souvient
aujourd'hui encore des rencontres avec la musique de Mahler qui l'ont le plus
fortement impressionné. Tout d'abord l'audition de la Première symphonie sous
la direction de Bruno Walter, de la Septième sous celle de Erich Kleiber, de la
Deuxième dirigée par Fritz Busch, et naturellement l'audition de la Quatrième
sous la conduite d'Alexander von Zemlinsky et aussi des innombrables concerts
Mahler dirigés par Vaclav Talich. Kubelík apprécie tout particulièrement
Zemlinsky, ce chef qui a pris fait et cause pour Schoenberg et l'École de
Vienne. Sa propre carrière d'interprète de Mahler commence en 1946 avec Le
Chant de la terre. Au cours de la décennie qui suit, il dirige presque toutes
les symphonies de Mahler.
Amsterdam avec son orchestre du Concertgebouw est pour lui un séjour mahlérien
d'importance historique. Ici et dans bien d'autres villes de l'ancien et du
nouveau continent comme chef invité, et surtout comme chef du Chicago Symphony
Orchestra, Kubelík poursuit son évolution de spécialiste de Mahler. C'est
grâce à lui que Chicago a fait la connaissance de bien des œuvres de ce
compositeur. Ce n'est pas un hasard, si Kubelík a reçu la médaille de Mahler
peu de temps après qu'eut pris fin son activité à Chicago. Tout tend à
montrer qu'un jour Kubelík sera reconnu comme un des meilleurs interprètes de
Mahler de notre temps.
Il s'est engagé dans cette voie en prenant la direction permanente d l'orchestre symphonique de la Radio bavaroise, un des orchestres les plus importants d'Allemagne. Parmi toutes les activités qu'il a pu mener à bien à la tête de cet orchestre, nombreuses sont celles qui l'ont préparé à la grande tâche dont il s'est chargé : diriger tout le cycle des oeuvres symphoniques de Mahler. Une telle entreprise n'a été rendue possible que par une collaboration de plusieurs années avec cet orchestre créé après la guerre par Eugen Jochum et qui a rapidement acquis une réputation internationale. Avec "son" orchestre, Kubelík a continuellement interprété des oeuvres de Mahler. Mais le grand pas, le pas pour ainsi dire décisif pour pénétrer complètement dans l'univers de Mahler, Kubelík et son orchestre l'ont fait lorsqu'on a pris la décision d'introduire toute les symphonies du compositeur dan le cycle des concerts publics de la Radio bavaroise. Ce fut aussi le signal pour leur enregistrement par la Deutsche Grammophon. Toutes les symphonies furent d'abord travaillées et exécutées en public, ensuite seulement enregistrées. Pour toutes, à l'exception de la Huitième, cela s'est fait dans la même salle, la salle de Hercule de la Résidence, qui est devenue une salle de concert habituelle et pour ainsi dire "officielle". Quant à la Huitième, qui de par ses dimensions et son orchestre exige une salle plus grande, son exécution fut transférée dans la salle des Congrès du Deutsche Museum de Munich, qui sert aussi de salle de concert. Le fait que le même chef a dirigé toujours le même orchestre dans une même salle a produit un style mahlérien homogène, tel qu'on est en droit de l'attendre et qu'il faut exiger pour l'édition du cycle des œuvres symphoniques de Mahler.
Étudiant d'à peine vingt ans au Conservatoire de Prague, Kubelík fut chargé par Erich Kleiber des premières répétitions de la Septième de Mahler. Kubelík eut le courage d'accepter mais pour s'apercevoir bien vite qu'il n'était pas capable de traduire le langage de Mahler dans le langage des signes d'une baguette de chef d'orchestre. Lorsque Kleiber prit en main les répétitions ultérieures, Kubelík avoua franchement son échec. "Peut-être n'avez-vous pas respiré convenablement", lui fit alors observer Kleiber. Cette remarque de Kleiber indiquant que l'art du chef d'orchestre revient pour une bonne part à l'art de respirer avec justesse a exercé une influence décisive sur la carrière de musicien de Kubelík, comme celui-ci le reconnaît lui-même aujourd'hui.
Sans doute une respiration juste fait-elle partie de l'art de tout musicien; elle appartient à la compréhension de la musique, à son interprétation, à l'exploration de sa structure et de sa forme, de son mouvement interne. Mais effectivement cela vaut tout particulièrement pour l'univers symphonique de Mahler. Kubelík possède au plus haut point la capacité de comprendre le système de signes mahlérien qui ne néglige aucun détail. Ce système est fait d'un engrenage continu de notes et d'indications concernant la manière de les jouer au moyen de prescriptions et de signes d'exécution qui change souvent dans l'espace seulement de quelques mesures. Le fondement de l'interprétation de Mahler, chez Kubelík, c'est la présentation technique, la faculté de lire et de transposer la "partition d'images" en flux organique qui tantôt s'arrête, tantôt prend un nouveau départ; c'est le respect de toutes ces nuances de la dynamique qui sont pour Mahler de la plus haute importance. Mahler - et c'est encore une preuve qu'il a été un grand chef d'orchestre ?a marqué dans sa partition chaque nuance, chaque détail avec la précision d'un écrivain; il a même cherché à deviner et à empêcher les fautes et les contresens dont il savait par expérience qu'on pouvait les attendre de la part des musiciens de l'orchestre. De la même façon, Kubelík voit dans le "système de signes" de Mahler, en premier lieu, le fondement sur lequel il faut érige toute construction. La méthode, la technique, toutefois, est ici comme jamais auparavant moyen pour saisir le contenu. On a plus d'une fois décrit le contenu. On parle de documents de la souffrance.
Cependant, cette interprétation certainement juste, Kubelík l'élève à un niveau plus élevé aussi bien dans sa conversation que dans ses interprétations de musicien. Il la rend plus active: il parle d'une musique de manifestes. Il y a chez Kubelík un penchant particulier pour l'univers mahlérien. On s'en aperçoit pleinement si l'on sait le sérieux avec lequel il assume ses responsabilités artistiques en tant que chef d'orchestre et en tant que compositeur. Kubelík fait sienne l'exigence de Mahler de comprendre la musique comme une puissance de métamorphose, comme un appel à l'homme pour qu'il reconnaisse que la souffrance est l'antichambre et même une condition du bonheur. Cet accord profond avec Mahler, cet effort pour trouver et pour exprimer l'homme, pour le convaincre que le sacrifice est une condition nécessaire pour maîtriser la vie et à la limite pour s'en détacher, cet accord et cet effort déterminent chez Kubelík l'interprétation des œuvres de Mahler. S'il faut que le chef d'orchestre soit pour le public un homme de succès, Kubelík, en tant que chef et en tant que musicien, voit son existence qu'il consacre à Mahler et qu'il mène en profonde sympathie avec Mahler, comme un sacrifice, comme une vie de compassion qui seule donne le droit de connaître le succès. C'est là une attitude typiquement mahlérienne. Et Kubelík y inclut la disposition mahlérienne de son orchestre: "Seul le reniement de soi-même au service des ardents manifestes de Mahler permet d'atteindre et d'éprouver un bonheur véritable."
Mais il y a encore autre chose qui fait de cette interprétation de Mahler un document vraiment unique de l'exégèse mahlérienne de notre époque: le fait que le compositeur et le chef sont tous les deux originaires du centre de la Bohème, il faut certainement le considérer comme le signe de prédestination de leur affinité d'esprit. Voilà un accord de sentiments qui tire son origine d'un même paysage et d'une même disposition d'âme. C'est avec raison que Kubelík parle du triangle musical Prague-Vienne-Munich. L'histoire de la musique est remplie d'exemples de la parenté musicale entre ces trois villes de l'Europe centrale, qui sont de la plus haute importance pour la musique et pou l'art. La compréhension de l'orchestre de la Radio bavaroise à l'égard de Mahler, expression de la sensibilité particulière à l'Allemagne du Sud, est la conséquence d'une composante naturelle, psychique; Kubelík le reconnaît lui-même. De même que faire de la musique est un signe de la capacité de s'exprimer par le son et de se reconnaître en lui, de même les efforts faits par cet orchestre pendant des années pour travailler les œuvres de Mahler sont devenus joie et plaisir à résoudre les problèmes qu'elles posent et à les transformer en intensité sonore. En témoigne le présent enregistrement qui permet d'entendre pour la première fois, comme Kubelík le reconnaît, bien des particularités des partitions, qui se perdent facilement dans une salle de concert. Elles deviennent audibles grâce à une technique de l'enregistrement considérée par Kubelík comme élément constitutif de la création de l'univers sonore de Mahler. Il pressent que tous ceux qui de par le monde aiment Mahler se réjouiront de son interprétation aussi pour cette raison que désormais l'univers musical de Mahler - de ce dernier grand symphoniste qui fait la transition entre le romantisme et la musique de notre siècle - se trouve capté sous une forme valable comme seuls le permettent les moyens d'une technique hautement évoluée. Kubelík parle avec la plus vive admiration de ceux qui furent ses collaborateurs dans la salle d'Hercule à Munich.
Note
On retiendra de ce papier, sans doute traduit maladroitement, l'importance de
Mahler pour Kubelík, sa modestie (" Monsieur Kleiber, je n'y arrive pas
"), le fait qu'il ait commencé en 1946 à aborder Mahler par le Chant de
la Terre et son
admiration pour les interprétations de Von Zemlinsky.
Biographie
de Rafael Kubelík
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